La simple observation silencieuse nous change

Comment change-t-on grâce à la pleine conscience ?

De deux façons au moins. La première nécessite un peu de connaissances psychologiques, qui peuvent s’acquérir néanmoins à travers la méditation. La seconde dérive simplement de l’observation silencieuse elle-même.

1. La pleine conscience permet de prendre conscience et d’identifier les variables du comportement en contexte

L’auto-observation a toujours été un instrument important de la thérapie comportementale qui vise le changement de comportements. Un thérapeute ne pouvant accompagner une personne toute la journée, il l’incite à observer elle-même certaines variables de son comportement en situation. Dans cette auto-observation, il y a beaucoup de traitement intellectuel pour arriver à une analyse fonctionnelle. Dans ce type de « pleine conscience », l’auto-observation nous aide à prendre conscience d’un comportement néfaste pour le changer. Si c’est complexe, la prise de conscience peut se décomposer en trois étapes :

1) observer une expérience en utilisant tous les sens mais aussi en changeant de perspectives temporelles, interpersonnelles ou spatiales,

2) décrire l’expérience en la nommant, en la précisant,

3) explorer les liens de cause à effet (ce qui se passe avant et ce qui se passe après le comportement) dans différents contextes.

Ce processus « observation-description-exploration causale » est effectivement une des façons dont la pleine conscience peut nous aider à changer de comportements. Ce type de pleine conscience, que l’on pourrait appeler « comportementaliste », existe d’ailleurs aussi dans la méditation du bouddhisme des origines (Theravada) qui a 2500 ans. Nous pouvons trouver de très nombreux textes du Bouddha qui explorent les comportements en remontant au processus cognitif (contact sensoriel – ressenti – réaction et intention de saisie avide ou de rejet en colère) et comportemental (action intentionnelle physique, par la parole, ou mentale en cas de fusion avec la pensée). La psychologie bouddhiste donne ainsi une compréhension de la chaîne cognitive, de l’action (kamma) et ses conséquences (vipaka).

Une connaissance psychologique, que cela soit la psychologie bouddhiste ou la science comportementale, peut alors aider à désautomatiser et désapprendre, pour réapprendre un autre comportement et une autre façon de voir les choses, plus bénéfique et réelle. Ces étapes existent donc bel et bien dans la méditation de pleine conscience, y compris dans ses origines bouddhistes. Dans le bouddhisme Theravada, elles sont qualifiées de « réflexion sage » (yoniso manasikara) pour les distinguer de l’observation silencieuse elle-même (sati) ou attention nue (bare attention).

Elles demandent en effet une analyse plus intellectuelle que ce qui se passe en général dans la méditation de pleine conscience, au sein même de la première étape d’observation. Sans avoir rien à comprendre intellectuellement, cela change, tout seul !

2. L’observation elle-même change ce qui est observé

L’observation dans la méditation de pleine conscience est une observation qui est très impartiale et « scientifique » :

  • Elle peut être très profonde. Notre attention est en effet clarifiée, moins agitée, plus concentrée. Notre pouvoir d’observation est magnifié, comme pour un microscope ou une loupe, et permet de voir des détails que nous ne voyions pas auparavant.
  • Elle est silencieuse, non-réactive, sans intervention. Elle ne s’enferme dans aucun jugement. Elle est désengagée du biais émotionnel et de la réactivité émotionnelle.

Muni de cette observation améliorée, nous constatons que le simple fait d’observer change ce qui est observé.

C’est d’ailleurs un constat qui est partagé par la physique quantique ! Le simple fait d’observer un phénomène, un système, change l’état du système.

Dans la méditation, nous pourrions dire que la simple observation des phénomènes mentaux et physiques les changent. C’est ce que chaque méditant peut ressentir par lui-même. La méditation évolue d’elle-même sans intervenir. Certains états tendus et solides disparaissent et laissent la place à des états plus légers, clairs et lucides, sans ego. Et le changement opéré par la pleine conscience est bénéfique à long terme, comme l’attestent globalement les études scientifiques actuelles.

Ces deux façons de changer à travers la méditation sont redécouvertes aujourd’hui par la science. Pour ceux qui méditaient sans cette caution scientifique, cela a toujours été une évidence tirée de l’expérience elle-même. Voici comment on peut le lire avec beaucoup de clarté et de synthèse chez Nisargadatta (un enseignant de méditation qui s’est éteint en 1981 à Bombay) :

« Le fait même de l’observation transforme l’observateur et ce qui est observé. Après tout, qu’est-ce qui empêche la vision pénétrante de notre vraie nature si ce n’est la faiblesse et l’étroitesse de notre mental et sa tendance à laisser de côté le subtil pour se concentrer uniquement sur le grossier. Quand vous suivez mes conseils et que vous essayez de concentrer votre mental uniquement sur la notion « je suis » vous devenez pleinement conscient de votre mental et de ses caprices. La Conscience, qui est l’harmonie lucide (sattva) en action, dissout la torpeur, calme l’agitation du mental, et doucement, mais fermement, en transforme la substance même. Nul besoin que ce changement soit spectaculaire on peut à peine le remarquer; c’est, néanmoins, un changement profond, fondamental, de l’obscurité à la lumière, de l’inadvertance à la conscience (awareness). »

Entretien n°58, Sri Nisargadatta Maharaj, Je Suis.

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(Une troisième voie de changement existe aussi dans la méditation, qui fera peut-être l’objet d’un autre article. Il s’agit de la connaissance méditative ou insight, qui peut être définie comme une sagesse intuitive révélatrice qui a des effets transformateurs. C’est un processus de changement habituellement discuté dans les traditions contemplatives mais qui existe aussi en psychologie (par exemple A Rorschach Study of the Stages of Mindfulness Meditation par Daniel P. Brown and Jack Engler dans le livre précurseur, foisonnant et forcément un peu daté « Meditation: Classic and Contemporary Perspectives«  publié en 1984 par Deane H. Shapiro (Jr.),Roger N. Walsh).) Ce n’est ni une analyse, ni de l’observation pure. L’insight a une dimension cognitive plus forte que l’observation pure et moins explicite que dans l’analyse.

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