C’est la journée mondiale du bonheur. Mais qu’est-ce que le bonheur ?

L’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 20 mars Journée mondiale du bonheur et du bien-être et les reconnaissant comme une aspiration universelle et un objectif politique (2012). Hier, lors d’une journée MBSR, nous avons médité sur la bienveillance en souhaitant du bonheur autour de nous. Et comme c’est aussi l’objet de ce blog, je ne peux que vous souhaitez le bonheur en relayant le magazine Cerveau et Psycho qui avait publié -dans un numéro spécial consacré au bonheur (L’essentiel Cerveau&Psycho N° 14 – Mai – Juillet 2013 : Comment être heureux et le rester)- un article complet de Christophe André sur le sujet : Une science du bonheur ?

« Le bonheur correspond à la prise de conscience du bien-être et de ses manifestations. Les études scientifiques ont montré que chacun peut l’atteindre en le « cultivant » régulièrement.

« Nous cherchons tous le bonheur, mais sans savoir où, comme des ivrognes qui cherchent leur maison, sachant confusément que cela existe. » Quand Voltaire écrit ces lignes au milieu du XVIIIe siècle dans l’une de ses correspondances, le bonheur est déjà un sujet à la mode : dans toute l’Europe fleurissent des traités consacrés aux différents moyens de l’atteindre. Depuis l’Antiquité grecque (où la philosophie se donnait pour objet premier d’aider les hommes à construire une vie heureuse) jusqu’à aujourd’hui, la quête du bonheur est d’actualité.

À ceci près que la science contemporaine, à la suite de la philosophie, en a fait un objet d’étude fécond, comme vous le constaterez dans ce dossier : de fait, jamais sans doute le bonheur n’aura été aussi bien connu dans le moindre de ses rouages, biologiques et psychologiques, jamais non plus le chemin pour l’atteindre n’aura été aussi bien balisé. Est-ce pour autant devenu si simple de se rendre heureux ? Pas forcément, car le bonheur n’est pas seulement une question de savoir. C’est aussi une question de pratique, voire d’entraînement régulier.

Pas de bonheur sans conscience du bonheur

Il est évidemment difficile de définir le bonheur. On tend aujourd’hui à le considérer comme un sentiment, selon la conception proposée par le neuroscientifique Antonio Damasio, de l’Université de Californie du Sud. Autrement dit, le bonheur serait « l’expérience privée d’une émotion ». Il correspondrait à la prise de conscience de ses états internes agréables – corporels, mentaux ou les deux –, et obéirait à l’équation : bonheur = bien-être + conscience de ce bien-être.

Sans cette prise de conscience, on passe à côté du bonheur (par exemple si on est dans une situation agréable, mais avec l’esprit occupé ailleurs, c’est-à-dire « pré-occupé »). Se rendre disponible pour savourer ce qui nous arrive de bon est une porte d’accès efficace au bonheur.

Comme l’écrivait Camus : « Ce n’est plus d’être heureux que je souhaite maintenant, mais seulement d’être conscient. » L’existence peut apporter du bien-être : avoir de quoi manger, dormir, se vêtir, s’occuper, avoir des proches, des amis, de l’eau chaude pour sa douche, vivre en démocratie, etc. Mais c’est prendre conscience de toutes ces chances qui conduit au bonheur, un sentiment bien plus puissant et spécifiquement humain (là où le bien-être reste un ressenti animal).

La plupart des scientifiques étudiant ce qui compose la perception d’avoir une vie heureuse montrent que ce sentiment correspond à la répétition de petits états d’âme agréables ; on se sent heureux quand on éprouve régulièrement ces « petits » bonheurs chers aux poètes, plutôt que de grands, mais rares, moments de joie intense. Ainsi, c’est un tissu d’instants de bonne humeur, et la prise de conscience de ces instants, qui représente le bonheur : moment passé avec un proche, promenade dans un bel endroit, lecture stimulante, musique qui émeut. On arrête un instant son activité, on savoure et on se sent heureux…

Donner un sens à sa vie

Mais il y aurait des limites à ne voir le bonheur que comme une accumulation des plaisirs : on considère qu’il est plus juste de voir le bonheur comme pouvant également découler d’une vie pleine de sens. Cette vision était celle des Anciens, mais elle reste actuelle : les questionnaires d’évaluation du « bien-être subjectif » (l’appellation scientifique du bonheur) s’appuient à la fois sur la fréquence des ressentis émotionnels agréables (bien-être dit hédonique) et sur le sentiment global d’une vie qui a du sens (bien-être dit eudémonique). Ces deux voies se complètent et se renforcent, plus qu’elles ne s’opposent. Elles interagissent l’une avec l’autre. Car le bonheur repose sur des instants heureux, mais n’est pas que cela : il est aussi l’intégration de ces moments heureux dans une vision globale de l’existence.

Cependant, à moins d’être exceptionnel, il faut de l’énergie, de la persévérance et de la confiance pour bâtir une vie pleine de sens. Et d’où viennent ces « ingrédients » ? Du plaisir d’exister, de ces états d’âme positifs qui fournissent ce que les psychiatres nomment l’élan vital (dont sont dépourvues les personnes déprimées ayant perdu la capacité de savourer l’existence) et qui aident à avoir une vision d’ensemble de sa vie. En effet, des études récentes ont montré que plus on a d’états d’âme positifs, plus on a le sentiment, à un moment donné, que sa vie a un sens.

Critiques du bonheur

Dans une lettre à sa maîtresse, Gustave Flaubert écrivait : « Être bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu. » Il n’avait raison que sur le troisième point : les rapports entre bonheur et santé sont réels, mais la santé ne suffit pas à assurer le bonheur. Ainsi, les émotions positives répétées sont bonnes pour la santé, alors qu’une bonne santé facilite le sentiment de bonheur, sans le garantir (en témoignent les hypocondriaques !).

Aujourd’hui, on sait que la plupart des critiques traditionnellement faites au bonheur – il rendrait égoïste, démotivé, voire anxieux ou frustré si on pense n’en ressentir pas assez, etc. – ne sont pas justifiées. Certes, comme toutes les valeurs humaines, le bonheur peut se trouver dévoyé ou manipulé : par exemple par la publicité, quand il s’agit de vendre des produits supposés rendre plus heureux. Certes, sa quête peut devenir anxiogène ou décevante : l’obsession du bonheur éloigne du bonheur. Pour autant, adopter face au bien-être une attitude de quête tranquille, mais active, semble légitime et utile, lorsqu’on constate les conséquences bénéfiques de ce sentiment sur la santé et les comportements.

Pour autant, rappelons que l’équilibre émotionnel ne réside pas dans un état mental où l’on ne ressentirait que des émotions positives : la recherche en psychologie des émotions a montré que le rapport caractérisant la santé mentale est d’environ trois émotions positives pour une émotion négative (c’est le ratio du psychologue américain Marcial Losada). Trop d’émotions positives, et l’on est dans un état d’euphorie ou d’excitation dangereux ; pas assez, et l’on bascule dans le stress, l’anxiété ou la dépression. Ainsi, il est inutile de chercher à toujours « positiver », il faut simplement s’efforcer de préserver de nombreux moments agréables au quotidien, pour se donner la force d’affronter les moments difficiles. Comme il est écrit dans L’Ecclésiaste, il y aura toujours dans la vie « un temps pour gémir et un temps pour danser ».

L’hérédité et l’histoire personnelle participent au bien-être psychologique. Et dans le domaine du bonheur, on retrouve les mêmes inégalités que pour toutes les dimensions de la personne humaine (beauté, santé, intelligence). Mais face à ces inégalités, des efforts réguliers permettent de réduire les écarts : la beauté est en partie génétique, mais pas le charme ; la santé a des fondements génétiques, mais on peut compenser cela par une bonne hygiène de vie ; l’intelligence est également en partie héritée, mais grandira encore si l’on a l’humilité de travailler pour progresser.

Il en est de même pour le bonheur. Les méta-analyses des grandes études scientifiques semblent montrer la répartition suivante : environ 50 pour cent des aptitudes à se sentir heureux ne dépendent pas de l’individu, mais de ses gènes et de son passé ; environ 10 pour cent en dépendent peu, puisqu’il s’agit de l’environnement matériel où il évolue (démocratie ou dictature, pays gris ou ensoleillé, campagne ou banlieue, etc.) ; mais environ 40 pour cent relèvent de ses efforts réguliers. Ce qui n’est pas si mal !

Moduler ses aptitudes au bonheur

Par ailleurs, les 50 pour cent qui ne dépendent pas de l’individu s’expriment comme des tendances héritées du passé, des sortes de réflexes et de systèmes de pilotages automatiques qui se mettent en marche spontanément. Tendances certes puissantes, mais que l’on peut apprendre à moduler. On a bien hérité, en tant que primates, de tendances biologiques à hurler et à cogner si on est contrarié, ou à prendre si on en a envie : et ces tendances-là, la plupart des personnes arrivent (en général) à les contrôler ! De même, une fois que l’envie de se faire du mal, de se rendre malheureux ou de se tenir à l’écart du bonheur est née (et c’est parfois difficile de l’empêcher), on a ensuite une marge de manœuvre pour ne pas obéir à ces « ordres » venus de son passé.

Alors, quels sont les efforts à faire pour se sentir plus heureux ? En réalité, les pratiques du bonheur sont, le plus souvent, une histoire de bon sens. La plupart des personnes savent parfaitement ce qui est important pour leur bonheur, au moins intuitivement. Lorsqu’elles sont amenées à y réfléchir, le plus souvent à la suite d’une adversité ou d’un drame personnel, elles ne découvrent pas leur existence, mais réalisent qu’elles les connaissaient et auraient dû les appliquer plus tôt.

C’est d’ailleurs le principal enseignement de la psychologie du bonheur : il ne faut pas tarder ! Le bonheur, ce n’est pas regretter ou espérer, mais savourer. Comme le soulignait Goethe, dans Faust : « Alors l’esprit ne regarde ni en avant ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur. » »

Christophe André a écrit plusieurs livres sur le bonheur, notamment « Vivre heureux » qui reprend des constats de la psychologie scientifique pour comprendre le bonheur, et « Les états d’âme » sur le bien-être émotionnel :


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