Qu’est-ce que la pure conscience ?

La pleine conscience peut être vue de façon très pratique. Jon Kabat-Zinn, professeur émérite de médecine, a réussi à développer la pratique de la pleine conscience dans la société grâce à beaucoup de pragmatisme au sein du MBSR.

Lorsqu’elle est véritablement approfondie, la pratique de la méditation de pleine conscience contient aussi potentiellement une révolution de notre point de vision à partir duquel nous pensons et agissons. Elle peut transformer notre compréhension de ce que nous sommes fondamentalement et notre vision du monde et des autres. Cela relativise toute notre perception et notre action.

Nous devenons conscients que notre point de vision, ou ce à partir de quoi nous sommes conscients, se révèle être une « pure conscience », qui n’a plus « ni centre, ni périphérie ».

(C’est le but de notre atelier « Reconnaître la Présence naturelle et l’intégrer au quotidien » du 17 et 18 juin 2017.)

Dans son ouvrage L’éveil des sens, Jon Kabat-Zinn ose ainsi aller plus loin en parlant ainsi de cette « pure » conscience, au risque peut-être de déconcerter et détourner l’apprenti méditant qui commencerait pas ce livre. (Ce chapitre n’est d’ailleurs toujours pas traduit dans l’édition de poche).

« Notre point de vue découle inévitablement de notre point de vision.

Comme notre expérience est centrée sur le corps, tout ce qui est appréhendé paraît lié à son emplacement, et connu à travers les sens.

Il y a ce qui voit et ce qui est vu, ce qui sent et ce qui est senti, ce qui goûte et ce qui est goûté, en un mot, l’observateur et l’observé. Il semble exister une séparation naturelle entre les deux, qui va tellement de soi qu’elle est très rarement remise en cause ou explorée, si ce n’est par les philosophes. Lorsque nous commençons à pratiquer la pleine conscience, ce sentiment, qui revêt la forme d’une séparation entre l’observateur et l’observé, est maintenu. Nous avons l’impression d’observer notre souffle comme s’il était distinct de celui ou celle qui l’observe. Nous observons nos pensées. Nous observons nos émotions, comme s’il existait une réelle entité, un « moi » qui applique les instructions, qui observe et expérimente les résultats.

Nous n’imaginons jamais qu’il puisse y avoir d’observation sans observateur, enfin, jusqu’à ce que nous tombions, naturellement, sans forcer, dans l’observation, l’attention, la compréhension, la connaissance (knowing). En d’autres termes, jusqu’à ce que nous tombions dans la conscience. Lorsque c’est le cas, même pour un très bref instant, il est possible d’expérimenter la dissolution de la séparation entre sujet et objet. Il reste la connaissance (knowing ou le fait d’être conscient*) sans connaisseur, la vision sans voyant, la pensée sans penseur, un phénomène impersonnel se déployant simplement dans la conscience. La plateforme de vision centrée sur le soi, et donc autocentrée au sens le plus basique, se dissout quand nous demeurons réellement dans la conscience, dans la connaissance même (knowing). Il s’agit tout bonnement d’une propriété de la conscience, et de l’esprit, comme pour l’espace.

Cela ne signifie pas que nous ne sommes plus une personne, mais que nos limites et notre répertoire se sont considérablement élargis et qu’ils ne se bornent plus à la séparation conventionnelle qui nous situe ici et le monde là-bas, et centre tout sur le « moi » en tant qu’agent, observateur, voire méditant.

La vision plus vaste, moins égocentrique, émerge lorsque nous dépassons les frontières établies de nos cinq sens pour nous aventurer dans le paysage, ou devrais-je ajouter, le paysage « spatial » ou « mental » de la conscience* même – ce que nous pourrions appeler la « pure » conscience. C’est un phénomène qu’il nous a tous été donné d’apercevoir à un moment ou à un autre, dans une mesure ou une autre, aussi bref soit-il, même si nous n’avons jamais pratiqué la méditation au sens formel.

Mais la capacité à habiter une conscience* sans sujet, sans objet, non duelle (où il n’y a plus de « nous » qui « habite » quoi que ce soit) s’accroît lorsque nous nous consacrons sans réserve à être là.

Elle peut également nous être subitement révélée quand les conditions sont mûres, souvent sous l’effet catalyseur d’une douleur intense ou, plus rarement, d’une joie intense. L’égocentrisme (the « I -centered ness ») s’efface, la conscience* n’a plus ni centre ni périphérie. Il ne reste que la connaissance (knowing), la vision, la sensation, la perception, la pensée. »

Jon Kabat-Zinn, L’éveil des sens, Ed. Arènes. Chapitre sur la Conscience sans centre, ni périphérie

*traduction légèrement modifiée de l’édition française pour traduire awareness uniquement par « conscience » (plutôt que par les différents mots utilisés d' »attention » ou « présence attentive » ou  « présence ») dans le chapitre sur la Conscience sans centre, ni périphérie. De même, nous avons précisé que le mot « connaissance » est ici une traduction du mot anglais « knowing » qui se rapporte au fait d’être conscient et non à une connaissance ou un savoir intellectuel particulier.

NB : Ce chapitre apparait uniquement dans l’édition augmentée du 1er octobre 2014 et non en poche. L’ouvrage en français a en effet été augmenté en 2014 des chapitres qui n’avaient pas été traduits de l’édition anglaise « Coming to our senses », notamment les chapitres sur la vacuité (emptiness) et sur la présence sans centre ni périphérie. Mais les deux éditions coexistent.

Extrait du texte en anglais :

« Our point of view stems inevitably from our point of viewing. Since
our experience is centered on the body, everything that is apprehended
seems to be in relationship to its location, and known through the senses.
There is the seer and what is seen, the smeller and what is smelled, the
taster and what is tasted, in a word, the observer and the observed. There
seems to be a natural separation between the two, which is so self-evident
that it is hardly ever questioned or explored except by philosophers. When
we begin the practice of mindfulness, that invariable sense of separation,
expressed as the separation between the observer and what is being observed,
continues. We feel as if we are watching our breath as if it is separate
from whoever is doing the observing. We watch our thoughts. We
watch our feelings, as if there were a real entity in here, a « me » who is
carrying out the instructions, doing the watching, and experiencing the results.
We never dream that there may be observation without an observer,
that is until we naturally, without any forcing, fall into observing, attending,
apprehending, knowing. In other words, until we fall into awareness.
When we do, even for the briefest of moments, there can be an experience
of all separation between subject and object evaporating. There is knowing
without a knower, seeing without a seer, thinking without a thinker, more
like impersonal phenomena merely unfolding in awareness. The viewing
platform centered on the self, and therefore self-centered in the most basic
of ways, dissolves when we actually rest in awareness, in the knowing
itself. This is simply a property of awareness, and of mind, just as it is for
space. It doesn’t mean that we are no longer a person, just that the boundaries
and the repertoire of being a person have dramatically expanded, and
are no longer limited to the separation we conventionally inhabit that has
me in here and the world out there, and everything centered on me as
agent, as observer, even as meditator.
The larger, less self-oriented view emerges as we venture beyond the
conventional boundaries of our five senses into the landscape, or should I
say « spaces cape » or « mindscape » of awareness itself, or what we might call

« pure » awareness. It is something we have all already tasted to one degree
or another in some moments, however brief, even if we have never been
involved with meditating in any formal sense. But the degree to which we
can inhabit a subjectless, objectless, non-dual awareness (where there
would no longer be an « us » who is « inhabiting » anything) increases as we
give ourselves over wholeheartedly to attending. It can also be revealed to
us suddenly in moments when conditions are ripe for it, often catalyzed by
intense pain, or, more rarely, by intense joy. The I -centered ness falls away,
there is no longer a center or a periphery to awareness. There is simply
knowing, seeing, feeling, sensing, thinking, feeling.

(…)

Awareness can feel as if it expands out in all directions from a center
localized within us. Therefore, it feels as if it is « my » awareness. But that is

a trick our senses play on us, just as with the feeling that everything in the
universe is in relationship to our location because we happen to be here
looking out. In one way, perhaps awareness is centered on us, in that we are
a localized node of receptivity. In more fundamental ways, it is not.
Awareness is without center or periphery, like space itself.
Awareness is also non-conceptual before thinking splits expenence
into subject and object. It is empty and so can contain everything, including
thought. It is boundless. And above all, amazingly, it is knowing.
The Tibetans call this fundamental quality of knowing « mind
essence. » Cognitive neuroscientists call it sentience. »

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