L’avenir de la psychothérapie : les processus psychologiques ?
Les recherches en psychologie et en psychothérapie s’orientent de plus en plus vers la compréhension et l’intervention sur des processus psychologiques plutôt que sur une classification imitant le modèle médical de maladies.
L’avenir de la psychothérapie
Comme l’indique Stefan G. Hofmann et Steven C. Hayes, dans leur tout dernier article « The Future of Intervention Science: Process-Based Therapy » publié le 29 mai dans la revue Clinical Psychological Science :
« La science clinique semble avoir atteint un point de basculement. Il semble qu’un nouveau paradigme commence à émerger qui remet en question la validité et l’utilité du modèle de la maladie médicale, qui suppose que les entités de la maladie latente sont ciblées avec des protocoles de thérapie spécifiques.
Une nouvelle génération de soins fondés sur des données probantes a commencé à s’orienter vers des thérapies axées sur les processus afin de cibler les médiateurs et les modérateurs centraux en fonction de théories testables.
Cela pourrait représenter un changement de paradigme en science clinique avec des implications de grande portée. La science clinique pourrait voir un déclin des thérapies nommées définies par des technologies fixes, un déclin des grandes écoles, une augmentation des modèles testables, une augmentation des études de médiation et de modération, l’émergence de nouvelles formes de diagnostic basées sur l’analyse fonctionnelle.
Ces changements pourraient intégrer ou rapprocher différentes orientations de traitement, contextes et même cultures. »
Ce mouvement récent n’est pas tout nouveau.
La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT ou Acceptance and Commitment Therapy) fondée par Steven C. Hayes notamment est justement structurée par une approche processuelle (cf. livre récent en français pour thérapeutes structuré non plus par trouble mais par processus).
L’approche processuelle en évaluation et intervention cliniques
Déjà un article de 2012 « L’approche processuelle en évaluation et intervention cliniques : une approche psychologique intégrée. » par Nef, François ; Philippot, Pierre ; (Université catholique de Louvain) Verhofstadt, Leslie (Université de Gand) allait dans le même sens :
« Des traitements validés empiriquement sont maintenant proposés pour la plupart des troubles mentaux. Cette approche clinique, fondée sur les diagnostics psychiatriques et des protocoles thérapeutiques standardisés (« approche diagnostique catégorielle »), a cependant ses limites.
Une approche récente relance le débat sur la compréhension des troubles psychologiques et leurs traitements. Il s’agit de l’approche processuelle, qui explique les phénomènes psychopathologiques par des processus psychologiques et rend compte de la comorbidité par
des facteurs explicatifs communs. La base épistémique –le « modèle des troubles mentaux par médiation psychologique »- de l’approche processuelle est présentée. Ses avantages et limites sont exposés, en particulier le pouvoir explicatif du modèle en matière de comorbidité, son pouvoir intégratif des modèles individuels et interpersonnels des problèmes psychologiques ainsi que son pouvoir thérapeutique d’éclectisme. Une nomenclature des processus psychologiques est proposée. Les interventions cliniques de cette approche sont esquissées à
travers une vignette clinique. »
« Selon nous, des processus de deux types (intra-individuels et interpersonnels) interagissent dans la détermination des problèmes psychologiques (Philippot, Nef et Verhofstadt, 2010 ; Philippot, 2011).
Nous distinguons :
Cinq catégories de processus psychologiques
(1) les évitements de l’expérience émotionnelle ou « évitements expérientiels » :
– les évitements comportementaux comme les évitements physiques, les demandes de réassurance, les vérifications, les compulsions comportementales, l’utilisation de signaux de sécurité, l’hyperactivité, le perfectionnisme,…
– les évitements cognitifs comme les compulsions mentales, les ruminations mentales, la suppression/neutralisation de la pensée,…
(2) les déficits et dysfonctionnements cognitifs:
– les déficits cognitifs liés aux fonctions exécutives comme l’impulsivité, le déficit de spécificité des souvenirs autobiographiques,…
– les biais cognitifs (attentionnels, mnésiques, interprétatifs)
– les cognitions dysfonctionnelles (croyances irrationnelles sur le monde, …).
– les métacognitions dysfonctionnelles (croyance en l’efficacité ou la dangerosité des ruminations mentales, fusion pensée-action,…)
– les styles d’attribution (interne vs externe, …)
– les modes de traitement de l’information (analytique vs expérientiel, …).
– les (méta)cognitions liées au Self (estime de soi, image de son corps, sentiment d’efficacité personnelle, sentiment de cohérence,…)
(3) les déficits de compétence (déficits d’apprentissage, manque de compétences sociales, manque de capacités de résolution de problème, manque de capacités d’autocontrôle,…).
(4) les processus et patterns interpersonnels.
Cette catégorie concerne les processus et difficultés interpersonnels, ainsi que les patterns comportementaux répétitifs dans les interactions avec des personnes significatives qui contribuent au développement et au maintien de la détresse et des troubles psychologiques (Carr, 2006 ; Favez, 2010 ; Scott et Robertson, 2003), par exemple:
– des patterns d’interactions symétriques en escalade (par ex. un conflit ouvert ou caché, des disputes dans le couple, ou des relations familiales qui sont un facteur central dans le maintien de la boulimie ; des modes de communication caractérisés par des affects négatifs réciproques qui prédisent la détresse relationnelle ; l’agression par un membre de la famille qui suscite l’agression par un autre membre) ;
– des patterns d’interactions complémentaires rigides (par ex. une rigidité dans la distribution des rôles de donneur de soin/attention et de receveur de soin/attention contribue à l’inopérance dans la dépression et renforce la pensée catastrophisante et l’évitement agoraphobique dans le Trouble panique) ;
– des patterns de comportements constituant des renforcements secondaires (par ex., la recherche de réassurance réduit l’anxiété dans le TOC mais suscite la répétition de demandes de réassurance) ;
– des patterns d’interactions intriquées (par ex. du surinvestissement émotionnel, de la surprotection ou du dévouement peuvent jouer un rôle important dans le maintien de l’anorexie et de la dépression) ;
– des patterns d’interactions distantes (par ex. des interactions froides et nonsoutenantes peuvent maintenir l’Etat de stress post-traumatique et les problèmes liés à l’abus d’une substance) ;
– une discipline ou une éducation incohérente ;
– des patterns d’interaction coercitifs (par ex. des tentative de contrôle ou
d’influence par la persuasion verbale ou par le comportement coercitif peuvent être des déclencheur du recours à l’alcool ou à d’autres drogues ;
– des patterns d’interactions imprévisibles (par ex. des comportements parentaux incohérents jouent un rôle dans le maintien des problèmes comportementaux chez les enfants. Vivre dans un environnement désorganisé et chaotique augmente le risque de suicide).
(5) la dimension motivationnelle.
Cette catégorie inclut les buts et les valeurs poursuivis par l’individu, la dynamique des écarts entre le soi perçu et le soi désiré, etc.
Précisons que (1) ces catégories ne sont pas exhaustives; (2) les processus proposées ne sont pas exclusifs les uns des autres ; ils se recoupent en partie ; (3) des processus tant individuels qu’interindividuels peuvent s’influencer et interagir.«
Processus émotionnels, cognitifs, comportementaux
D’où l’essor d’une réflexion sur les processus émotionnels, cognitifs, comportementaux… qui permet des approches intégratives des techniques les plus appropriées en fonction des problématiques d’intervention.
Dans un article de 2004, Barlow, David H., Laura B. Allen, and Molly L. Choate. « Toward a Unified Treatment for Emotional Disorders–Republished Article. » (Behavior therapy 47.6 (2016): 838-853.) se dirigeait vers une approche unifiée des interventions sur les problèmes émotionnels :
« Based on theory and data emerging from the fields of learning, emotional development and regulation, and cognitive science, we identify three fundamental therapeutic components relevant to the treatment of emotional disorders generally. These three components include
(a) altering antecedent cognitive reappraisals;
(b) preventing emotional avoidance; and
(c) facilitating action tendencies not associated with the emotion that is dysregulated.
This treatment takes place in the context of provoking emotional expression (emotional exposure) through situational, internal, and somatic (interoceptive cues), as well as through standard mood-induction exercises, and differs from patient to patient only in the situational cues and exercises utilized. »
Le « transdiagnostic »
Cela a donné le livre « Unified Protocol for Transdiagnostic Treatment of Emotional Disorders: Therapist Guide » qui organise la thérapie par modules.
Les chapitres détaillent ces modules ci-dessous :
Chapter 5 Session 1: Functional Assessment and Introduction to Treatment
Chapter 6 Module 1: Setting Goals and Maintaining Motivation
Chapter 7 Module 2: Understanding Emotions
Chapter 8 Module 3: Mindful Emotion Awareness
Chapter 9 Module 4: Cognitive Flexibility
Chapter 10 Module 5: Countering Emotional Behaviors
Chapter 11 Module 6: Understanding and Confronting Physical Sensations
Chapter 12 Module 7: Emotion Exposures
Chapter 13 Medications for Anxiety, Depression, and Related Emotional Disorders
Chapter 14 Module 8: Recognizing Accomplishments and Looking to the Future
Chapter 15 Using the UP in a Group Format
D’autres livres citées dans ce blog se sont penchées également sur la reconnaissance de processus dits « transdiagnostiques » pour transcender les modèles basées sur des catégories de troubles.
TCC basées sur les processus
L’article de Steven C. Hayes et Stefan G. Hofmann accompagne d’ailleurs leur livre très intéressant publié en janvier 2018 : Process-Based CBT: The Science and Core Clinical Competencies of Cognitive Behavioral Therapy. Il fait donc utilement le point sur ce mouvement qui se développe au sein de la « psychothérapie empiriquement fondée » (sur cette notion, voir également l’article Billieux, J., De Mol, J., & Deplus, S. (2012). Qu’est-ce que la psychothérapie empiriquement fondée? – Revue Francophone de Clinique Comportementale et Cognitive, 17(4), 5-7).
La table des matières dresse les contours des ces nouvelles « TCC (thérapies comportementales et cognitives) basées sur les processus », en reprenant les différentes techniques classiques utilisées en TCC :
Introduction
Part 1
1. The History and Current Status of CBT as an Evidence-Based Therapy
2. The Philosophy of Science As It Applies to Clinical Psychology
3. Science in Practice
4. Information Technology and the Changing Role of Practice
5. Ethical Competence in Behavioral and Cognitive Therapies
Part 2
6. Core Behavioral Processes
7. What Is Cognition? A Functional-Cognitive Perspective
8. Emotions and Emotion Regulation
9. Neuroscience Relevant to Core Processes in Psychotherapy
10. Evolutionary Principles for Applied Psychology
Part 3
11. Contingency Management
12. Stimulus Control
13. Shaping
14. Self-Management
15. Arousal Reduction
16. Coping and Emotion Regulation
17. Problem Solving
18. Exposure Strategies
19. Behavioral Activation
20. Interpersonal Skills
21. Cognitive Reappraisal
22. Modifying Core Beliefs
23. Cognitive Defusion
24. Cultivating Psychological Acceptance
25. Values Choice and Clarification
26. Mindfulness Practice
27. Enhancing Motivation
28. Crisis Management and Treating Suicidality from a Behavioral Perspective
29. Future Directions in CBT and Evidence-BasedTherapy