Mode être et mode faire

  • Le mode « être » est un mode d’attention ouvert au moment présent tel qu’il est, sans attentes. Il est difficile de parler du mode « être » sans en faire l’expérience directe car sa richesse se transmet difficilement par les mots.
  • Le mode faire de l’esprit est tourné vers un but, il cherche à réduire l’écart entre les choses telles qu’elles sont et la façon dont nous voudrions qu’elles soient. Notre attention est accaparée à surveiller l’écart entre la situation désirée et la situation réelle.

Dans leur livre Mindfulness-Based Cognitive Therapy for Depression: A New Approach to Preventing Relapse de 2002 puis 2012 (traduit par La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression, 2e ed. 2016), les psychiatres Segal, Williams et Teasdale définissent ces deux modes d’attention.

Voici quelques extraits adaptés*.

Le mode faire

Le mode faire (ou le mode « dirigé ») est déclenché quand le mental voit que les choses ne sont pas comme il voudrait qu’elles soient. Dit plus formellement, le mode faire se met en route quand le mental enregistre des écarts entre une idée de comment les choses sont et comment on souhaite que les choses soient ou devraient être.

« De tels écarts font deux choses:

  • ils déclenchent tout d’abord automatiquement une sorte de sentiment négatif;
  • ensuite ils activent des schémas de pensées habituels qui ont pour but de réduire le fossé entre l’état présent (ou anticipé) et l’état désiré.

Le mental essaie de réduire l’écart

Si une action peut être immédiatement entreprise pour réduire l’écart, et que cette action réussit, l’attention quitte le mode faire. Mais qu’arrive-t-il lorsque l’action à entreprendre n’est pas évidente ou ne peut être accomplie immédiatement? » (…) »L’écart subsiste. Le résultat est que le mental continue à traiter toutes les informations sur le mode «faire », reprenant sans cesse la situation, s’arrêtant sur l’écart et ressassant les différentes manières de le réduire. Ceci continuera jusqu’à ce que l’écart soit réduit ou qu’une tâche plus urgente provoque un changement temporaire dans le thème traité par l’esprit pour revenir à l’écart non résolu dès que la tâche alternative devient moins prioritaire. »

Cela peut s’appeler de la rumination mentale. C’est inutile et cela crée un sentiment périodique d’insatisfaction.

Il réduit le présent à un moyen pour atteindre un but

Le mental « sera tellement préoccupé d’analyser le passé et le futur qu’il donnera peu de priorité au présent. Dans ce cas les gens ne seront conscients du présent que dans un sens très étroit : le seul intérêt qu’ils lui portent est de contrôler la réussite ou l’échec à atteindre les buts.

Afin de donner un compte rendu équilibré, nous devrions souligner que le mode de résolution mentale des problèmes, basé sur les divergences, lorsqu’il est appliqué en toute connaissance de cause et de manière intentionnelle à des problèmes pour lesquels c’est approprié est, bien entendu, un des attributs les plus impressionnants du mental humain. Le vrai succès de cette approche, lorsqu’elle est utilisée de cette manière explique pourquoi ces stratégies sont incorporées en premier lieu dans le mode faire.

Le problème est que, dans le mode faire, ce traitement n’est habituellement pas intentionnel, conscient et planifié ; au contraire, il commence puis se maintient de manière assez automatique comme une habitude mentale « à l’arrière du cerveau». Dans cette situation, l’esprit peut bien tourner en rond ou sauter d’une divergence non résolue à une autre, sans jamais trouver la solution. Ceci risque d’être particulièrement vrai en ce qui concerne les buts existentiels, comme d’être plus heureux ou moins malheureux, et qui sont traités en arrière plan comme priorité par défaut de l’esprit, quand il n’est pas occupé ailleurs.

Le mode être

Au contraire du mode faire, le mode être ne cherche pas à atteindre des buts particuliers. Il est sans attentes. Ceci a deux implications.

  • En premier lieu, il n’est plus nécessaire de contrôler ni de surveiller «où en suis-je dans la réalisation de mes objectifs?».
  • Deuxièmement, il n’est pas nécessaire de renforcer une gestion basée sur les écarts. Le mode être insiste plutôt sur « accepter » et « permettre » ce qui est, sans vouloir tout de suite le changer.

Ce «permettre » montre que, en l’absence de but ou de norme à atteindre, il n’est pas nécessaire d’évaluer l’expérience pour réduire l’écart entre les états présents et ceux désirés.

Plutôt que de se centrer étroitement sur le présent jaugé en permanence par rapport à la réalisation d’un but, l’expérience du mode être peut être vécue à tout moment dans toute sa profondeur, sa vastitude et sa richesse.

Un autre rapport au temps

Faire et être diffèrent également par leur rapport au temps.

Dans le mode faire, il est souvent nécessaire d’évaluer les conséquences qu’aura une action par rapport au but, d’anticiper les conséquences de la réalisation du but, ou d’évoquer à nouveau le souvenir de situations anciennes problématiques ou reliées au but pour en faciliter la réalisation. Le résultat, en mode faire, est que l’esprit voyage souvent vers l’avenir ou le passé et que l’expérience vécue la plupart du temps est celle de ne pas être vraiment « ici », dans le présent.

Dans le mode être au contraire, l’esprit n’a « rien à faire, nulle part où aller » si bien que le processus peut se consacrer exclusivement au traitement de l’expérience moment par moment, permettant à la personne d’être pleinement présente et consciente de tout ce qui est là,

Alors que le mode faire implique de penser à propos du présent, du futur et du passé, se reliant à chacun d’eux par un voile de concepts, le mode être est caractérisé par l’expérience directe, immédiate, intime du présent.

Une autre relation aux pensées

Le mode être implique un glissement dans la relation aux pensées et aux sentiments.

La pensée conceptuelle est un véhicule central par lequel l’esprit cherche à atteindre les buts auxquels le mode faire se consacre. Aussi, comme nous l’avons vu, la pensée jouit du statut de reflet fiable de la réalité, fortement liée à l’action. Dans le mode faire, les sentiments sont évalués de manière primaire comme des « bonnes choses » ou des « mauvaises choses » et l’esprit fixe des buts pour être sûr que, selon le cas, elles continuent ou cessent. À nouveau, transformer nos sensations immédiates en objets reliés à nos buts les cristallise effectivement en « choses » qui jouissent d’une réalité indépendante et durable.

Par contraste, dans le mode être, la relation aux pensées et aux sentiments ressemble bien plus à la relation aux sons et aux autres aspects de l’expérience moment par moment ; ce sont simplement des événements qui apparaissent, deviennent objets d’attention puis passent. Vous reconnaîtrez ici la perspective « décentrée » à laquelle nous avons attaché tant d’importance dans notre analyse de la manière dont la thérapie cognitive agit.

Des affects et des émotions vécues sans déclencher des réactions automatiques pour s’accrocher à l’agréable ou se débarrasser du désagréable

Les sentiments ne déclenchent pas immédiatement des séquences automatiques d’action dans l’esprit ou le corps pour s’accrocher aux sentiments agréables et se débarrasser des sentiments désagréables.

Ceci implique nécessairement une plus grande capacité à tolérer les états émotionnels inconfortables sans déclencher immédiatement les schémas habituels d’actions mentales ou physiques pour tenter de quitter ou d’améliorer ces états. De même, des pensées comme « fais ceci, fais cela » ne provoquent pas nécessairement et automatiquement les actions qui y sont liées, mais peuvent être considérées comme de simples événements se déroulant dans l’esprit.

Un sentiment de liberté, de légèreté, et un déploiement inédit de l’expérience riche, complexe et unique

Finalement, le mode être se caractérise par un sentiment de liberté, de légèreté, et un déploiement inédit de l’expérience. Il est sensible à la richesse et à la complexité de chaque moment qui est en fait unique.

Dans le mode faire au contraire, la nature multidimensionnelle de l’expérience est réduite principalement à une analyse unidimensionnelle de celle-ci par rapport au but à atteindre. Les différences entre la réalité et les buts déclenchent les habitudes automatiques éculées de l’esprit, qui ont été utilisées mille fois pour traiter ces différences. Pour certains buts, nous l’avons vu, comme une émotion voulant réduire un écart, ces habitudes peuvent donner des retours de flamme et entretenir plutôt que mettre fin à ces états d’esprit non souhaités.

Le mode être n’est pas antinomique de l’action ou de l’activité

Avant d’expliciter les implications de la distinction entre les modes faire et être pour la MBCT, il est important d’être clairs sur un point. Nous ne voulons pas dire que le mode être est un état d’esprit spécial dans lequel toute activité doit s’arrêter. Faire ou être sont des modes de l’attention, qui peuvent l’un comme l’autre accompagner toute activité ou toute absence d’activité.

Souvenez-vous que le mode faire peut aussi, pour la plupart des buts, être baptisé le mode « dirigé », ce qui clarifie les choses. Il est par exemple possible d’essayer de méditer avec une telle importance accordée au fait d’atteindre un état de profonde relaxation que si quelque chose nous interrompt, nous nous sentons fâché et frustré. Ce serait méditer plus dans un mode faire que dans un mode être, car la méditation est « dirigée » par le désir de se relaxer.

Prenons un autre exemple: C’est votre tour de faire la vaisselle et il n’y a pas moyen d’y échapper. Personne ne vous épargnera cette charge. Si vous faites la vaisselle dans le but de la finir au plus vite pour passer à l’activité suivante et êtes interrompu, il y aura frustration puisque votre but a été contrarié. Mais si vous acceptez que la vaisselle doive être faite et abordez cette activité sur le mode être, alors l’activité existe pour elle-même dans un temps qui lui est dévolu. Une interruption est traitée comme quelque chose qui donne le choix de faire autre chose à ce moment plutôt que comme une source de frustration. » (voir à ce sujet l’article « La vie quotidienne en pleine conscience »)

* (termes changés, texte allégé et titres ajoutés)

Pour en savoir plus, lire le livre pour thérapeutes : La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression, 2e ed. 2016
traduit de l’édition de 2012 en anglais : (New to This Edition :
*Incorporates a decade’s worth of developments in MBCT clinical practice and training.
*Chapters on additional treatment components: the pre-course interview and optional full-day retreat.
*Chapters on self-compassion, the inquiry process, and the three-minute breathing space.
*Findings from multiple studies of MBCT’s effectiveness and underlying mechanisms. Includes studies of adaptations for treating psychological and physical health problems other than depression.)

ou pour les patients et le grand public : Manuel de méditation anti-déprime (2016)

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