L’émotion est une tendance à l’action : les 8 tendances à l’action

Les émotions ont avant tout une fonction adaptative. Dans toutes les espèces, elles préparent l’organisme à interagir avec son environnement de manière à assurer son bien-être, sa survie ou celle de son espèce. Cette notion a été particulièrement développée dans le concept de tendance à l’action, initialement proposé par Magda Arnold (1960) et ensuite reprise par Nico Frijda (1986) qui en a fait le concept central de sa théorie des émotions.

Extrait de Philippot, Pierre. Émotion et psychothérapie (2013) :

 

L’émotion comme tendance à l’action

« Selon Frijda (1986), les tendances à l’action sont des dispositions internes (ou leur absence) à accomplir certaines actions ou certains changements relationnels avec l’environnement. Les tendances à l’action sont donc l’activation, mais pas encore la réalisation, d’un script comportemental qui vise à changer la relation entre l’individu et son environnement. Elles amorcent les différents systèmes de l’organisme en vue de soutenir un certain type d’action. Ce sont elles qui organisent la réponse émotionnelle immédiate. Selon Frijda, des profils d’évaluation émotionnelle spécifiques activent automatiquement les tendances à l’action correspondantes (Frijda, Kuipers & ter Schure, 1989).

Huit tendances à l’action

Sur base de travaux abordant la phylogenèse et l’ontogenèse des émotions, Frijda a identifié huit tendances à l’action de base. Ces tendances seraient innées et apparaîtraient assez tôt dans le développement humain.

1) L’approche

La première tendance à l’action est l’approche positive qui implique l’orientation de l’attention sur l’objet et l’attitude comportementale
d’approche, de réduction de la distance par rapport à l’objet, et d’exploration de celui-ci.
Cette tendance à l’action est activée dans les situations impliquant l’affection, la tendresse,
l’exploration curieuse, etc.

2) L’agression

La seconde tendance à l’action est l’agression qui mobilise toutes les ressources de
l’organisme pour blesser, détruire, ou écarter/repousser tout obstacle aux buts poursuivis par
la personne, à son intégrité psychologique ou physique. L’envie de porter des coups, de
détruire est centrale dans cette tendance à l’action. Elle est bien évidemment activée dans la
colère.

3) La panique

La panique, troisième tendance à l’action, mobilise également toutes les ressources de
l’organisme, mais cette fois pour fuir, pour écarter une menace, un danger potentiel.
L’attaque de panique est un exemple paroxystique d’expression de cette tendance à l’action
(Barlow, 2002). Elle est typique de la peur.

4) Le jeu

La quatrième tendance à l’action, le jeu, est centrale dans le développement
intellectuel et social dans toutes les espèces de mammifères et l’humain n’y fait pas
exception. Cette tendance à l’action coordonne l’attention et le comportement moteur dans
des interactions avec l’environnement physique et social. Elle motive et soutient un ensemble
d’apprentissages capitaux dans les premières années du développement humain (Izard, 1984)
et subsite bien au-delà. Cette tendance est présente lors d’expériences émotionnelles
positives, comme la joie et l’amusement.

5) L’inhibition

L’inhibition est la cinquième tendance à l’action. Elle a des racines phylogénétiques
profondes : en présence d’un danger potentiel, l’organisme se fige, inhibe activement tout
mouvement, tout comportement. Chez l’humain, on peut aussi constater une inhibition mentale : l’individu a l’esprit vide. Cette tendance à l’action est typique de certaines formes d’anxiété.

6) Le rejet

La sixième tendance à l’action, le rejet, est au départ physique. Par exemple,
l’application d’une substance amère chez un nouveau né provoque l’apparition immédiate
d’une réaction de rejet, exprimée par un rictus de dégoût : protrusion des lèvres, plissement du
nez, contraction des paupières (Izard, Huebner, Risser, McGinnes, & Dougherty, 1980).
Cette tendance à l’action est ensuite associée à des situations plus psychologiques que
physiques. Elle est centrale au dégoût.

7) La soumission

La septième tendance à l’action, la soumission, tout comme la tendance à l’action
suivante, est essentielle dans une espèce sociale comme l’espèce humaine. Elle implique
l’envoi de signaux, notamment posturaux et expressifs, de soumission, et des scripts
comportementaux basés sur l’imitation et le suivi des comportements du dominant. Elle est
notamment présente dans des émotions comme la culpabilité ou l’embarras, ou dans des états
émotionnels beaucoup plus complexes comme l’humilité et ceux liés à une faible estime de
soi, comme dans la timidité ou l’anxiété sociale.

8) La dominance

Enfin, la tendance à l’action de dominance est la contre-partie de la soumission. Il
s’agit de s’affirmer par rapport à autrui. Il est à noter que cette tendance à l’action est
clairement distincte de celle d’agression. Souvent ces deux aspects, pourtant très différents
dans leur substrat psychologique et dans leurs conséquences, sont confondus. La dominance
est clairement présente dans la fierté.

 

Des émotions innées aux tendances personnelles acquises

Ces huit tendances à l’action constitueraient le bagage émotionnel inné dont
disposeraient les humains pour organiser leurs réponses émotionnelles.

Avec les multiples apprentissages et expériences émotionnelles idiosyncrasiques, chaque individu développe son bagage personnel de tendances à l’action, notamment en modifiant ou en combinant les tendances à l’action innées. Ces expériences individuelles rendraient aussi certaines tendances à l’action plus facilement activables que d’autres. Par exemple, dans le domaine clinique, un individu soumis à des menaces fréquentes verra s’abaisser le seuil d’activation de la tendance à l’action de panique.

Des tendances plus diverses que les réponses Approche / Evitement

Il faut également noter que cette théorie, et les observations empiriques qui en
découlent démontrent que les émotions offrent une palette de modes de réponse préparés
beaucoup plus large que les modes approche – évitement qui sont souvent considérés en
clinique. On voit ici que les émotions offrent une gamme variée de réponses adaptatives et
que ces réponses ne sont pas rigides, mais répondent aux différentes expériences faites par
l’individu. »

***

Aimer / ne pas aimer

Il me semble que ces tendances à l’action, si elles apparaissent plus complexes qu’un simple comportement d’approche ou d’évitement, peuvent être toujours regroupées de façon binaire, aimer/ne pas aimer, comme ci-dessous. Je relie ces tendances également aux réactions de stress.

Perception Tendance d’action Emotions caractéristiques
Réactions de stress
Aimer 1) L’approche l’exploration curieuse, affection, etc.
4) Le jeu la joie et l’amusement
Ne pas aimer 2) L’agression colère fight
8) La dominance fierté fight
6) Le rejet dégoût fight
3) La panique peur flight
5) L’inhibition peur, culpabilité ou embarras freeze
7) La soumission peur freeze, please

Références

Arnold, Magda B. « Emotion and personality. » 1960.

Frijda, Nico H. The emotions. Cambridge University Press, 1986.

Philippot, Pierre. Émotion et psychothérapie: L’influence des émotions dans la société. Primento, 2013

Cet ouvrage fournit les bases théoriques, empiriques et cliniques d’une psychothérapie centrée sur les émotions. De fait, l’émotion est omniprésente dans la société d’aujourd’hui. Elle a quitté le confinement de l’univers artistique pour se répandre dans pratiquement tous les domaines de la vie privée et publique. La publicité en est un des exemples les plus marquants. Si l’émotion est présente pour le meilleur, elle l’est aussi pour le pire : les troubles émotionnels constituent un des fléaux de la société occidentale. Paradoxalement, on constate que l’émotion est restée jusque récemment un concept marginal dans le champ de la psychothérapie.

Depuis la première édition en 2007, l’ensemble de l’ouvrage a été profondément remanié et actualisé. La partie consacrée aux interventions notamment s’est considérablement développée, à l’instar de la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives : approche de Greenberg, protocole unifié de Barlow, thérapies basées sur la pleine conscience (mindfulness) ou sur les ruminations mentales, réentraînement émotionnel… Enfin, l’ouvrage s’enrichit d’un compagnon internet : FaceTales, programme d’entraînement au décodage des émotions faciales, récompensé par le prix international Wernaers pour la diffusion des connaissances scientifiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

%d blogueurs aiment cette page :