Une classification des difficultés rencontrées dans la pratique méditative de long terme de méditants bouddhistes

Un article de recherche a été publié en 2017 (en accès libre) sur les effets éventuels de méditations bouddhistes perçus comme indésirables ou difficiles.

(Lindahl JR, Fisher NE, Cooper DJ, Rosen RK, Britton WB (2017) The varieties of contemplative experience: A mixed-methods study of meditation-related challenges in Western Buddhists. PLoS ONE 12(5): e0176239.)

La méditation laïque est issue historiquement de la méditation bouddhiste et partage des processus centraux. Cet article peut intéresser les enseignants de méditation à la fois bouddhistes et laïcs pour mieux reconnaître les étudiants qui auraient besoin de soutien supplémentaire ou d’instructions correctives dans leur méditation. Elle est aussi évidemment utile pour la recherche en psychologie de la méditation.

Cette étude de classification a été menée à partir d’une analyse de contenu thématique de 60 entretiens de méditants bouddhistes occidentaux (20 personnes pour chaque tradition : Theravada, Zen, Tibétaine), âgés en moyenne de 49 ans, à 85% américains, ayant suivi à 97% une éducation supérieure, dont 43% ont plus de 10 000 heures de méditation, et 60% sont des enseignants bouddhistes.

 

Types de méditation bouddhiste

Les chercheurs ont distingué 12 types de méditation :

  1. de concentration (samatha, concentration sur la respiration, comptage de la respiration)
  2. de compréhension, d’insight meditation (vipassana, note mentale, observation ouverte)
  3. scan coporel (notamment le vipassana de Goenka)
  4. d’autres pratiques de compréhension et de sagesse (méditations analytiques)
  5. zazen : comptage de la respiration
  6. zazen : « juste s’assoir » (shikantaza)
  7. koan
  8. amour bienveillant (metta) ou compassion
  9. tonglen
  10. pratique de la nature de l’esprit (dzogchen, mahamudra)
  11. pratiques préliminaires du Vajrayana (ngondro)
  12. pratiques de visualisation
  13. récitation de mantras
  14. autres

 

Taxonomie des difficultés

D’après les entretiens, 59 expériences difficiles ont été répertoriées et catégorisées en 7 domaines :

  1. cognitifs,
  2. perceptifs,
  3. affectifs (émotions ou humeurs),
  4. somatiques (corporels),
  5. conatifs (motivation, volonté),
  6. sentiment de soi,
  7. sociaux.

Le type, la durée et l’intensité de ces expériences varient énormément. La durée par exemple peut être de quelques jours à quelques mois ou à plus de dix ans.

Parfois, des expériences étaient ostensiblement souhaitables, telles que des sentiments d’unité ou d’unité avec les autres, mais certains méditants ont signalé qu’elles allaient trop loin, duraient trop longtemps ou qu’ils se sentaient désorientés. D’autres méditants ayant eu des expériences de méditation positives lors de retraites ont rapporté que la persistance de ces expériences interférait dans une certaine mesure avec leur capacité de fonctionner ou de travailler quand ils quittaient la retraite et retournaient à une vie normale.

C’est un bon exemple de la façon dont un facteur contextuel peut affecter la détresse et le fonctionnement associés« , a déclaré Lindahl. Une expérience positive et souhaitable dans une situation peut devenir un fardeau dans une autre.« 

En outre, dans certains cas, une expérience que certains méditants ont signalé comme difficile, a été jugée positive par d’autres. Les chercheurs ont donc cherché à déterminer des «facteurs qui influencent » la désirabilité, l’intensité, la durée et l’impact d’une expérience donnée.

 

Facteurs d’influence positifs ou négatifs (26 catégories)

Ces facteurs réduisent ou augmentent la durée ou l’intensité de la gêne rencontrée selon les interviewés (% de méditants de long terme entre parenthèses et % d’enseignants entre crochets).

Les chercheurs ont documenté quatre domaines principaux:

  1. facteurs liés au pratiquant (attributs personnels du méditant), liés
  2. à la pratique (la méditation),
  3. aux relations (facteurs interpersonnels) et
  4. comportements liés à la santé (alimentation, sommeil ou exercice).

Nous retrouvons une grande variation d’expériences et d’interprétations de l’expérience. Par exemple, la relation d’un méditant avec l’instructeur était pour certaines personnes une source de soutien et pour d’autres une source de détresse.

Ces facteurs d’influence sont autant d’hypothèses testables pour les recherches futures.

L’importance du cadre interprétatif

Un des résultats de cette enquête qualitative est de montrer l’importance du cadre interprétatif de l’expérience méditative, qu’elle soit agréable ou désagréable ou neutre sur le moment. Les cadres interprétatifs sont multiples et parfois conflictuels.

« The current study not only highlights the central role of appraisal in interpreting meditation experiences, but also that there are multiple, and sometimes conflicting, interpretative frameworks at play for Western Buddhist meditators. »

Ce n’est donc pas seulement le type de méditation exercé mais également le cadre d’interprétation de la méditation qui influencent fortement les difficultés rencontrées.

Le cadre interprétatif apparaît toutefois difficile à coder. Des verbatims d’entretiens seraient donc intéressants à lire. De même, la classification reste sèche à la lecture, même si elle est précisée dans les guides de codage des entretiens.

De nombreuses expériences précitées peuvent en effet être extrêmement positives comme un changement dans notre « façon de voir le monde », le « calme mental », un « changement dans le fonctionnement exécutif », la « méta-cognition », la « clarté », etc.

Ce manque de citations d’entretiens rend la compréhension plus difficile, en particulier pour les expériences cognitives, conatives et surtout celles liées au sentiment de soi, étant donné que la psychologie bouddhiste les considérerait justement comme très positives et des signes de progrès psychologique. Dans ces trois domaines, l’article précise par exemple ses catégories :

« Cognitive.
Changes reported in this domain pertain to mental functioning, including the frequency, quality and content of thoughts, as well as other cognitive processes, such as planning, decision-making and memory. Three cognitive changes associated with concentration—mental stillness (periods of few or no thoughts), clarity (whether of cognitive processing or of awareness more generally), and meta-cognition (monitoring of cognitive processes)—were given various positive and negative associations depending upon their intensity and how they intersected with other changes in perceptual, somatic, affective, or sense of self domains. (…)

Conative.
The conative domain primarily denotes changes in motivation or goal-directed behaviors. This change frequently co-occurred with changes in worldview and changes in the social domain. Another conative change was the reported amount of effort or striving associated with meditation practice. On the one hand, practices that previously required great effort sometimes became effortless, a change generally reported as a positive.

Sense of self.
Given that the sense of self is construed in multiple ways—from fundamental embodied sensorimotor activity to more complex conceptual judgments—various changes in sense of self were differentiated according to data-driven reports and theory-driven perspectives from phenomenology and cognitive science (e.g.,[130]).

Changes in the narrative self refer to shifts in how a practitioner conceives of himself or herself over time, often in relation to the identities, worldviews, values, goals or behaviors both within and beyond their Buddhist tradition. Other changes in sense of self occurred at more fundamental levels that had a corresponding impact on cognitive, affective, somatic, or perceptual domains.

The most common change in sense of self reported by practitioners was a change in self-other or self-world boundaries, which took many related forms. Some practitioners reported boundaries dissolving and general permeability with the environment or with other people; others felt like their self had expanded out from their body and merged with the world; still others used the inverse language, reporting that the world had become merged with their sense of self. A range of different affective responses were associated with this change, from neutral curiosity, to bliss and joy, to fear and terror.

Loss of sense of ownership was commonly reported in relation to thoughts, emotions, and body sensations.

Practitioners also reported a loss of sense of agency—or the loss of a “doer” of actions—in relation to automatic actions such as crying, to habitual actions such as walking, and to typically intentional actions such as speaking.

Some practitioners reported even more fundamental changes in their sense of self akin to a loss of the sense of basic self [131] or the minimal self [132] such that they felt like they no longer existed at all or that they would disappear or be invisible to others. »

Ces changements dus soit à la méditation ou au cadre interprétatif (ou son absence ou son inadéquation) ne peuvent-ils pas être aussi bien positifs ? En quoi ces expériences sont forcément « des effets secondaires nuisibles de la méditation » comme le titrent déjà certains médias pouvant sauter aux conclusions au sujet de cette étude alors même qu’elle précise 26 facteurs d’influence ?

N’est-ce pas finalement un manque d’accompagnement dans l’interprétation de ce nouveau sentiment de soi, ou de ces nouveaux cadres motivationnel et cognitif plus vastes et légers qui fait défaut ? J’ai souvent vu personnellement des personnes mal interpréter leur expérience de méditation et partir dans des directions inutiles ou néfastes.

Le manque d’expérience de l’enseignant en méditation, en psychologie ou dans la compréhension des processus méditatifs, l’impossibilité de lui parler en détail et le manque de confiance entre l’étudiant et l’enseignant me semblent être des facteurs à prendre en considération. Cela arrive dans le contexte bouddhiste, comme dans cette étude, mais également dans des contexte laïcs, pour lequel les études sur les effets de long terme manquent, alors même que les cadres interprétatifs sur le sentiment de soi sont plus légers que dans les contextes bouddhistes, voire même inadaptés à la méditation.

Cette étude peut donc contribuer utilement à la formation des enseignants de méditation et sur la recherche sur les problèmes posés par certaines pratiques.

Le manque de citations me semble toutefois une perte de richesse pour cette recherche exploratoire pourtant très innovante, basée sur un matériau riche de 60 entretiens, et suscitant la réflexion dans l’analyse de la causalité.

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