La méditation à l’école apporte des bienfaits aux élèves

Voici un article admirable de Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, dans Cerveau Et Psycho de ce mois-ci :

« L’engouement actuel pour la méditation s’accompagne d’initiatives de plus en plus nombreuses pour enseigner cette discipline à l’école. Ces enseignements se déclinent maintenant à travers une grande diversité de cursus inspirés pour la plupart des programmes de pleine conscience pour la gestion du stress (mindfulness-based stress reduction programs), c’est-à-dire à travers un ancrage principal de l’attention vers la dimension corporelle des expériences mentales et une observation curieuse mais neutre de celles-ci. Le principe est donc d’apprendre à étudier sa propre vie mentale pour mieux en comprendre la dynamique spontanée et progressivement disposer de leviers pour enrayer les automatismes inadaptés.

Des études très fiables

Quel intérêt pour les élèves et le corps enseignant ? Face à une littérature de plus en plus foisonnante, Katrin Weare, professeuse émérite à l’université de Southampton, en Angleterre, s’est donné pour mission d’analyser conjointement toutes les études publiées sur ce thème pour en extraire des messages généraux bien validés sur le plan scientifique. Et son premier constat est que le niveau de rigueur avec lequel sont évaluées ces interventions basées sur la méditation à l’école (IBM, ou MBI en anglais) se rapproche de celui des études cliniques que nous avons appris à bien connaître avec la crise du Covid. C’est une bonne nouvelle, car les effets de l’enseignement de la méditation sont maintenant presque systématiquement comparés à ceux d’interventions « placebo » avec une répartition aléatoire des participants à travers les groupes (selon le principe des randomized-control trials, véritables juges de paix de la recherche biomédicale).

Une initiation, plus qu’une réelle pratique

À partir d’une quarantaine d’études publiées avant 2018, Katrin Weare a d’abord retenu que, dans l’ensemble, les élèves et le corps enseignant apprécient ces programmes de méditation, ce qui est évidemment un prérequis essentiel. En moyenne, les interventions passées au crible proposaient une dizaine d’heures de méditation à l’école, réparties sur plusieurs semaines. Gardons ces chiffres à l’esprit, en songeant à ce que ces doses de pratique pourraient apporter à un jeune qui souhaiterait devenir footballeur ou pianiste – évidemment, rien de comparable avec un vrai programme de préparation ! Il s’agit clairement d’une découverte de la méditation et non d’un réel entraînement. Malgré tout, les évaluations réalisées avant et après ces programmes – souvent sous forme de questionnaires – révèlent une influence positive (de « petite » à « modérée ») sur la sphère psychoaffective, avec notamment un impact sur le stress et la dépression, et plus généralement sur les relations sociales au sein de la classe. Weare n’hésite pas à parler d’un « consensus total » concernant les effets bénéfiques sur le plan social et psychologique, avec une meilleure sociabilité et une plus grande capacité à réguler ses émotions.

Exercices de concentration

Les effets sur le plan cognitif sont moins évidents et concernent surtout la capacité de concentration (pour laquelle il existe des progrès décelables) et la prise de conscience par les élèves de leur propre fonctionnement mental et cognitif. Le premier résultat – la concentration – était assez prévisible, pour quiconque a compris que toutes les formes de méditation impliquent une certaine discipline de l’attention, pour la ramener encore et encore sur un objet prédéfini, physique ou mental, que ce soit la respiration, la flamme d’une bougie ou l’image mentale d’un objet. C’est plutôt la relative faiblesse des effets rapportés qui pose alors question. Mais comment imaginer sérieusement qu’une dizaine d’heures consacrées à maîtriser et contrôler les dérives de son attention puisse aboutir à des progrès majeurs ? Ce qui pourrait être suffisant pour apprendre à jongler avec trois balles ou résoudre le Rubik’s cube ne l’est probablement pas pour le vaste chantier que constitue le contrôle de sa vie mentale.

Mais il faut bien comprendre aussi que la pratique de la méditation ne traite finalement qu’un aspect de l’éducation de l’attention – sa stabilisation sur une cible, qui peut être étroite ou large, mais qui est toujours bien identifiée au départ. Dans la « vraie vie », les élèves font face à des tâches complexes souvent intellectuelles, où l’attention peut se perdre sur mille objets qui tous peuvent paraître importants. Une bonne concentration n’est alors possible qu’après un travail de clarification de son objectif immédiat et de définition de son objet d’attention (quelle est la consigne de l’énoncé que je dois garder présente à l’esprit ? Comment vais-je la garder active tout en réalisant des étapes intermédiaires du travail ?), une capacité qu’il faut acquérir par ailleurs.

L’un des éléments particulièrement prometteurs de la méditation à l’école est la découverte par l’enfant de sa propre vie mentale et de sa dynamique : les diverses natures des pensées que l’on peut avoir, comment elles s’enchaînent, etc. La méditation propose en effet de poser son attention sur une cible précise – typiquement, la sensation de sa propre respiration – et d’observer alors comment l’attention est régulièrement amenée à dériver vers toutes sortes d’autres préoccupations, comme des pensées, souvenirs, émotions, pour ramener sans relâche l’attention vers la respiration. C’est, ainsi, un bon moyen de prendre conscience du flux ininterrompu de nos pensées et préoccupations.

Repérer les décrochages de l’attention

De ce fait, la méditation représente une voie d’entrée royale vers ce qu’on appelle la « métacognition » (la connaissance que l’on peut avoir de ses propres mécanismes de pensée) et la compréhension des procédures mentales que nous utilisons pour résoudre des problèmes. On peut donc imaginer que la méditation aide l’élève à observer et comprendre comment fonctionne son moteur mental, et ce qui cloche quand il fait des erreurs, par exemple. Nous savons ainsi que le vagabondage mental – quand on décroche du cours pour se perdre dans ses pensées – est l’un des obstacles principaux à l’apprentissage. Or ces moments d’évasion semblent toujours commencer par une phase initiale où une première pensée survient (« Tiens, ce soir, je vais pouvoir m’acheter des nouvelles chaussures »), avant d’en entraîner une autre, puis une autre, etc. C’est le phénomène d’allumage (ignition, en anglais) décrit par les deux principaux experts de ce domaine, Jonathan Schooler et Jonathan Smallwood : si l’on se base sur l’expérience des méditants expérimentés, il est possible que la méditation développe la capacité de remarquer ce point d’allumage pour dévier le mouvement d’aspiration de l’attention par les pensées distrayantes, et rediriger celle-ci vers les perceptions externes (concrètement, l’exposé du professeur), grâce au développement d’une capacité d’observation métacognitive de sa vie mentale.

Vers un brevet d’éducateur méditant?

L’une des conclusions sur laquelle Katrin Weare insiste le plus, c’est qu’aucun effet néfaste n’a été observé : « La littérature scientifique sur ce point continue à ne signaler pratiquement aucun effet indésirable des interventions basées sur la pleine conscience, que ce soit du côté des étudiants ou des éducateurs. » C’est un point évidemment très important car la manipulation de sa propre attention est un moyen d’action puissant sur son activité cérébrale, qui pourrait mener à des états mentaux non désirés. Il faut par exemple s’interroger sur les méditations « avancées » orientées vers des aspects constitutifs du soi (qui suis-je vraiment ? Qu’est-ce qui est à l’origine de mes actions ? Qu’est-ce qui ressent mes émotions ?…), mais ces objets d’attention sont totalement hors du champ des pratiques enseignées à l’école. Gardons tout de même une certaine vigilance quant à l’évolution des types de méditation auxquels pourraient se livrer en solo des adolescents en quête de réponses à des questions existentielles ou simplement en recherche de sensations. N’oublions pas que, historiquement, la méditation a toujours été enseignée dans le cadre de relations étroites entre des maîtres très expérimentés et leurs disciples, avec une surveillance rapprochée des états mentaux de l’élève. Il n’est pas dit que le mode de diffusion à l’occidentale qui est prôné en ce moment – une diffusion rapide au plus grand nombre par des enseignants n’ayant souvent eux-mêmes que quelques années de pratique – permette un suivi aussi fin du parcours intérieur dans lequel s’engagent de plus en plus d’adeptes jeunes et enthousiastes. D’ailleurs, Weare insiste sur la nécessité que les enseignants qui introduisent la méditation dans leur classe soient eux-mêmes très expérimentés sur le plan de cette pratique, et c’est probablement là que le bât blesse, car il n’existe pas de niveau d’exigence comparable à celui demandé aux enseignants de musique au conservatoire par exemple, où on ne peut prétendre enseigner qu’après des années de pratique rigoureuse régulièrement évaluée par ses pairs. La mise en place de critères objectifs et stricts permettrait aussi d’éviter des dérives toujours possibles dans les explications théoriques données aux élèves (rééquilibrage des hémisphères cérébraux et autres neuromythes).

C’est sans doute à cela qu’il faut faire attention avec l’entrée de la méditation à l’école. Quant aux allégations, récemment brandies par la Ligue des droits de l’Homme, selon laquelle l’introduction de la méditation à l’école menacerait la séparation des Églises et de l’État, elles traduisent quant à elles et bien malheureusement une incompréhension consternante de ce que sont maintenant l’enseignement de la méditation et la religion de manière générale. »

Jean-Philippe Lachaux|  18 septembre 2021|  CERVEAU & PSYCHO N° 136

https://www.cerveauetpsycho.fr/sr/ecole-des-cerveauxla-meditation-aide-les-eleves-22436.php

En savoir plus

K. Weare, Mindfulness and contemplative approaches in education, Curr. Opin. Psychology, vol. 28, pp. 321-326, 2019.

J. Smallwood, Distinguishing how from why the mind wanders: A process-occurrence framework for self-generated mental activity, Psychological Bulletin, vol. 139, p. 519-535, 2013.

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